Je le savais, mais s’y replonger… Quelle existence que celle d’André Baillon, cet écrivain belge qui a connu un temps le succès en France avant d’être bien oublié. Si ses livres ont commencé à être republiés à partir des années 1970, peu de gens le connaissent. Il a fait de sa vie un roman. Et d'ailleurs, c'est ce qu'elle est. Un roman plutôt triste. Même désespéré. Il est né en 1875 à Anvers, et perd son père à un mois, sa mère à six ans. On le fait élever par une vieille tante autoritaire et bigote. Séparé de son frère aîné, il est envoyé dans des pensions religieuses et en sort révolté et fragile. Il se fait mettre à la porte de l’université parce qu’il fréquente ostensiblement une prostituée avec qui il finira par se mettre en ménage. Tous les deux mèneront la vie de patachon (il dilapide à toute vitesse son héritage) avant qu’il ne tente de se suicider (une première fois. Il recommencera.). Il finit par épouser une autre prostituée, plus maternelle, et tombera éperdument amoureux d’une pianiste. Quittera l’une pour retrouver l’autre, et vivra (à Bruxelles, à Paris) finalement un peu avec les deux. Il déraille vraiment Baillon. Il commence à éprouver des sentiments coupables pour la fille de sa pianiste (dame, elle grandit, elle a maintenant seize ans). Il est interné à la Salpétrière. L’attend encore une grande passion avec une jeune poétesse et romancière (elle a vingt ans de moins que lui) et finit par se suicider pour de bon, à 56 ans, en 1932, en s’avalant des barbituriques. Tous ses livres ressassent son parcours biographique, ses malheurs biographiques. Il cherche, fouille, gratte en lui-même, dissèque sa mémoire et ses chairs. Et va plus profond encore. Il extirpe ses angoisses, ses manies, ses délires. Sa folie douce, sa folie aigre, car il est fou comme un bourdon et malheureux comme les pierres. Si finalement il invente (s’il se fait simulateur de lui-même) c’est pour être plus crédible. Pour faire vrai, se sentir vrai. Son œuvre, une dizaine de livres, est unique. Pas d’autre mot que cela. J’ai rattrappé un peu le temps perdu. Je commence à tenir mon papier. Nous nous sommes téléphonés plusieurs fois dans la journée, Amélie et moi. Elle est très occupée avec son festival Quais du polar. Il fait beau à Lyon me dit-elle. Ici aussi. Très beau. Mais je n’ai pas mis le nez dehors.