Camille, qu’Amélie avait informée de la fin de mon manuscrit, m’a envoyé un très gentil message. J’imagine que tu es soulagé, m’écrit-elle. Soulagé, vraiment je ne sais pas. Je suis dans un état étrange. Sans contours. A Michel Bernard qui me demandait cet automne des nouvelles de mon travail, j’avais expliqué que j’avais l’impression de haler, seul, une très lourde péniche dans un étroit canal. J’ai traîné ce livre tellement de temps. Sept ans ? Peut-être plus. Je ne me souviens plus quand j’ai signé le contrat avec Jean-Marc. Je voulais raconter la vie de mon père alors que j’en ignorais à peu près tout. Folle idée. La même, cela dit, que lorsque je m’étais lancé dans le récit de celle de mes grands-parents dans 16 rue d’Avelghem. Et pire encore avec La fausse porte à propos de mon enfance dont il ne me restait si peu. De texte en texte, je poursuis une histoire familiale dont je ne connais que des bribes. Je m’efforce juste d’être vrai dans ce que je suis bien obligé d’inventer. Là, la grande différence était que je ne me sentais pas vraiment, pas du tout, le droit d’écrire. Je n’étais pas légitime en fait, moi l’enfant illégitime. Je savais pourtant, au fond de moi, qu’il fallait que je m’attelle à la vie de ce père absent que je n’aurai connu que ses dix, douze dernières années. J’ai passé beaucoup de temps à brouillonner, à faire, à défaire. Je fouillais dans des papiers, regardais des photos, je ne trouvais que des instants sans liens. Le journal qu’il avait tenu tout au long de sa carrière militaire avait disparu. Mon demi-frère Jean l’avait embarqué à la mort de ma mère en 2006. Je te le rendrai. Tu parles. Il est mort lui aussi, en 2010. Sa veuve a prétendu qu’elle n’avait rien retrouvé. J’ai avancé à tâtons, erré en fait. Je ne trouvais pas le ton, pas la voix. Et puis il y a eu ma récidive et les séances de radiothérapie. J’ai laissé tomber cet infaisable livre pour les poèmes de L’herbier des rayons. Ce recueil est l’ex-voto de ces journées-là. Il est paru chez Caractères au printemps 2016 et j’ai décidé de reprendre mon projet. Je suis parvenu à le mener jusqu’au bout. Je pensais, au tout début, que cela ferait un énorme volume. Il a finalement le même nombre de pages que le précédent. Et je crois qu’il est comme il devait être.