La chienne tourne en rond. Elle part dans le jardin. Revient. Traverse toutes les pièces le museau au sol. Lève le nez à la fenêtre. Enfin, elle se plante devant la porte du couloir et elle attend. Mais il n’y a plus personne. Que moi. Thomas a pris le train pour Paris dimanche soir. Victoria, Valentine et Apolline se sont envolées pour Nice, lundi matin, de l’aéroport de Rennes. Et j’ai accompagné Amélie à la gare le soir. Je suis comme un brouillon chiffonné dans une corbeille à papiers. Nous avons passé de magnifiques journées. J’étais déjà très content que Thomas vienne à la maison. Depuis des années, nous avions demandé en effet, sans succès, à Séverine, qu’elle veuille bien nous le laisser de temps en temps. Je m’entends bien avec ce bonhomme. Je crois qu’il ressemble un peu au petit garçon que j’étais. Nous sommes allés nous balader une matinée tous les deux (avec Apolline aussi) armés d’un grand filet faucheur pour ramasser des insectes dans les hautes herbes. Nos captures : quelques sauterelles des chênes, une argiope fasciée, des téléphores roux, des punaises des bois, des criquets. Il a patiemment tout identifié au retour. Noms vernaculaires et noms latins. Durant le séjour, il a été plein d’entrain et d’intelligence vive. Riant, dévorant comme quatre, jouant avec la chienne. Séverine l’avait décrit à Amélie comme le Patraque de la chanson d’Ouvrard (J’ai la rate qui s’dilate, j’ai le foie qu’est pas droit, le colon tout en long, et l’coccyx qui s’dévisse). La veille de son arrivée elle lui avait fait même passer une fibroscopie sur les conseils d’un médecin du genre âpre à l’acte. Il a des problèmes de clapet, aurait diagnostiqué ce sombre Diafoirus. Tu parles. Il faut croire qu’il existe deux Thomas. Celui qui vit à Saint-Cloud chez ses parents, et… l’autre. Que sa petite sœur Agathe ait été, depuis qu’elle est bébé, opérée, re-opérée, et encore opérée (il est d’ailleurs question encore de recommencer) pour des problèmes digestifs, n’est bien sûr pas étranger à l’affaire. Fichue angoisse. Je crois qu’il a surtout envie qu’on lui lâche la bride. Qu’on lui fiche la paix. Les filles ont été, je dirais volontiers « comme d’habitude », merveilleuses. Sauf qu’en ce qui les concerne, il n’y a vraiment pas d’habitude. Avec la distance, nous les voyons bien peu. Quelques jours par an, à Mexico ou pendant leurs vacances en France. A chaque fois, je les trouve changées, profondément. Toujours en bien. On peut dire, comme dans l’Evangile de Luc, qu’elles grandissent en grâce (en stature) et en sagesse. Ce qui ne les a pas empêchées ici de s’amuser comme des folles. La chienne a été à la fête comme cela lui est rarement arrivé. D’où son effarement triste d’aujourd’hui. Moi, depuis que cette petite troupe est partie, je trouve la maison, d’un coup, toute désenchantée.