…Et j’ai travaillé. Oh pas tout de suite. Et pas assez. Je me suis d’abord occupé du jardin. Coupé les trop grands débords des haies, désherbé. Traité les rosiers contre le marsonia. Je serais bien allé aussi m’occuper du potager qui est livré aux herbes folles depuis l’année dernière. Mais j’ai fini par m’enfermer dans mon bureau. Amélie a gardé ma porte. Je n’ai pas vraiment été distrait par les visites. Résultat ? Oh, je sais juste maintenant que je n’abandonnerai plus ce que j’ai (re)commencé. J’ai peut-être trouvé le ton qu’il faudrait. Mais Dieu, que ça va être long. Je me suis décidé à adresser une nouvelle lettre à Noëlle, la veuve de mon demi-frère Jean. Il y a cinq ans, je lui avais demandé de récupérer le journal de mon père qu’il avait emporté, après la mort de ma mère, en 2006, dans leur maison du Gers. Peine perdue. Elle n’avait, disait-elle, rien trouvé. Pas cherché peut-être. Ce sont deux très gros cahiers manuscrits, reliés, retraçant au gré de ses affectations, ses grands engagements et sa vie ordinaire. Il y a aussi d’autres dossiers de correspondance liés à ses postes et à ses missions. Je lui ai demandé si elle ne pourrait pas regarder avec attention à nouveau. Et puis, au milieu des bibelots et des souvenirs embarqués eux aussi, se trouve une petite cravache gainée de cuir brun. C’est le « stick » du capitaine Broche, mort à Bir-Hakeim, que ce dernier avait confié à mon père, en gage d’amitié, à son départ de Nouméa. J’en ai parlé avec François Broche. Il serait bien que cette relique rejoigne le musée de la France libre. Au-delà, j’aimerais aussi régler tranquillement avec Noëlle le sort des bronzes, des vases et des objets personnels (sa collection de timbres, ses effets militaires) dont Jean m’avait assuré qu’ils reviendraient à Marie. J’ai posté la lettre le 7 août. Je n’ai toujours pas eu de réponse. J’ai passé un été d’ours. Je ne me suis baigné qu’une fois, laissant le plus souvent Amélie aller seule à la plage. J’ai peur que ces vacances studieuses lui aient pesé. Elle est quand même partie quelques jours à Grasse, en famille. Pour être avec nos nièces surtout. Moi, faute de les voir, je leur aurais écrit. Un mot par jour à Apolline (à qui j’inventais des histoires de lutins), un par semaine aux autres qui sont si grandes maintenant. Je n’ai rien vu de la belle saison. C’est la première année que j’ai eu l’impression de glisser si vite de l’hiver en automne. Tout m’a semblé se faner à la suite. Les mimosas de février, et puis les camélias, les narcisses, les roses. Les valérianes, les cosmos, les ravenelles, les phlox. Aujourd’hui les hortensias virent au vieux rose avant de se dessécher, la couronne des dahlias se flétrit, les pommes tombent au pied des pommiers. Le soleil se couche tôt et la pluie est glacée. Il faut que je m’arrache de cette gangue triste. Norbert a vendu sa maison de la route de la Croix-Paquerey. Ca l’a pris d’un coup, comme si, du jour au lendemain, il lui était impossible de continuer à y habiter. Il n’en a parlé à personne. Annick suit. Sans qu’on sache vraiment ce qu’elle en pense. Tous les deux n’ont pas très envie d’en parler. Ils vont s’installer à Coudeville, loin de la mer, dans une petite zone pavillonnaire, proche d'une entreprise de tôlerie et d'une autre de matériel électronique. J’avoue que je ne comprends pas bien. Ils sont venus à la maison déposer un gros panier de pommes, les dernières de leur verger. Ils prenaient la route pour Sanary le lendemain où ils resteront jusqu’à leur déménagement, en octobre. Nous nous étions vus dans l’été à l’enterrement de Charles à Quettreville. Charles avait tenu avec Nelly la maison de la presse ici jusqu’en 2013. Un vrai gentil. Il est mort à cinquante-trois ans d’un foutu cancer. Il y a eu aussi les obsèques début août de la mère de Sixtine à Moutiers-au-Perche. Je ne la connaissais pas. Amélie l’aimait beaucoup. Cela faisait des années qu’elle me parlait d’elle et d’Eric son mari. Elle voulait me présenter là-bas. Tu verras, ils sont adorables. Mais trois heures de voiture. Cela nous paraissait bien loin. Nous l’aurons pourtant fait ce voyage. Nous avons eu la visite de Pierre Adrian et de son amie Lou. Marie est restée quelques jours à Carolles de retour de Mongolie. Elle y a été une semaine, à marcher dans la steppe. Un séjour qu’elle avait préparé de longue date et dont elle est rentrée ravie. Elle m’en a ramené des cornes de chèvre, une grande plume de vautour (lequel ?) et des fleurs séchées : asters, edelweiss, potentilles, pavots jaunes, pieds de perdrix… Elle est repartie juste avant son anniversaire. Trente-trois ans le 28 août. J’ai confié la chienne deux jours au chenil de Saint-Pierre-Langers. J’avais un rendez-vous cent fois repoussé à Paris avec un spécialiste. Compris dans ce qu'il m'a dit que ce n’était pas très brillant, mais pas encore catastrophique. J’ai repensé à cette blague du type qui se jette du haut d’un gratte-ciel et qui répète dans sa chute : Pour l’instant ça va, pour l’instant ça va. Nous avons recommencé une nouvelle saison des Rencontres littéraires avec Richard Morgiève. Dîner joyeux avec lui et Joëlle qui l’avait accompagné. Je l’aime bien, mais on ne se voit jamais. J’ai rendu un papier à Raphaëlle sur son roman Les hommes. Un très beau texte encore. Sur l’amitié, les femmes, la parole donnée. L’enfance. Morgiève, j’en suis persuadé, est un grand écrivain. J’ai fait ma liste de rentrée pour Le Monde. Rien osé proposer à Elle. Mes deux dernières chroniques ne sont jamais parues. Je crains qu’Olivia n’ait vraiment pas besoin de moi. Je vais quand même faire le représentant en aspirateurs. Mettre le pied dans la porte. Et soumettre des titres pour octobre et novembre. J’ai cueilli sur la treille les quelques grappes de raisin épargnées par les oiseaux. Maigre récolte, mais nous sommes parvenus quand même à en faire quatre pots de confitures. M. Mitaillé est venu tailler les haies. Le jardin est prêt pour son automne.