Dans le chemin, j’ai croisé Claude, le fils de Mme Bassard, avec Véronique, sa femme. Ils revenaient de l’hôpital de Granville. Ma vieille voisine a été transférée de celui d’Avranches hier. Le chirurgien a attendu là-bas plusieurs jours avant de se décider à l’opérer. Et depuis l’intervention, il ne s’est rien passé. On l’a abandonnée un peu à son sort. Comme elle ne peut plus lire ni regarder la télévision (elle souffre de dégénérescence maculaire), les journées ont été pour elles interminables.Sans parler de l'ankylose et de la douleur. A Granville, elle est censée commencer une rééducation progressive. On verra. Je suis allé chercher Amélie à la gare. Elle était avec Louise, treize ans début juillet, qui passe le week-end avec nous. C’était prévu de longue date. Je suis content. J’aime beaucoup cette gamine, si prompte à s’enthousiasmer, si curieuse de tout. Elle doit lire Les trois mousquetaires pendant l’été. C’est vrai que c’est ton livre préféré ? Pas faux. J’y remets le nez souvent. Plusieurs fois par an. Par bribes. Souvent les mêmes chapitres de cette longue histoire, des Mousquetaires au Vicomte. La thèse et le Carême d’Aramis, la conversation de Richelieu et de Milady surprise grâce aux tuyaux de poêle de l’auberge du Colombier-Rouge. Les retrouvailles (vingt ans après) de d’Artagnan et d’Athos au château de la Fère, l’évasion du duc de Beaufort. Raoul dans l’abbaye de Saint-Denis, la mort et le testament de Porthos. Ce serait bien si tu me le lisais. Pourquoi pas… Et me voilà, après dîner, commençant : Le premier lundi du mois d'avril 1625, le bourg de Meung, où naquit l'auteur du Roman de la Rose, semblait être dans une révolution aussi entière que si les huguenots en fussent venus faire une seconde Rochelle. Plusieurs bourgeois, voyant s'enfuir les femmes du côté de la Grand-Rue, entendant les enfants crier sur le seuil des portes, se hâtaient d'endosser la cuirasse, et, appuyant leur contenance quelque peu incertaine d'un mousquet ou d'une pertuisane, se dirigeaient vers l'Hôtellerie du Franc-Meunier, devant laquelle s'empressait, en grossissant de minute en minute, un groupe compact, bruyant et plein de curiosité. - Attends, attends, je ne comprends pas tout. D’expliquer alors cuirasse, mousquet et pertuisane. De confirmer que les huguenots sont bien des protestants. Et d’assurer qu’on reparlerait bientôt de La Rochelle. Nous avons mis ainsi un bon moment à démarrer l’histoire, débarrassant le texte de ses embûches. Louise s’accrochait, s'accrochait. Et puis d’un coup, elle était accrochée.