Reçu tôt ce matin un message de Louise. Je me suis fait racketter, me dit-elle. En fait, hier soir, à proximité de chez elle, comme elle rentrait du collège, elle a été apostrophée par deux petits merdeux. Dégage, espèce de pute ! Elle a continué son chemin sans répondre, mais voilà qu’ils l’ont suivie jusqu’à son immeuble, pénétrant avec elle dans le hall et cherchant à lui arracher son portable. Heureusement, sa mère qu’elle appelait par l’interphone a pu descendre à temps et les faire détaler. C’était vraiment de « petits » merdeux, car le plus vieux n’avait visiblement pas plus de dix ans. N’empêche, Louise était encore sous le choc aujourd’hui. J’ai peur qu’ils reviennent, m’écrit-elle. Je viens de lui envoyer une longue lettre pour essayer de l’aider un peu à démêler l’écheveau des sentiments embrouillés dont elle doit être envahie. La frayeur, la colère, la honte. Je me suis demandé aussi comment j’aurais réagi à son âge. A douze ans, je me défendais assez mal face à la violence et aux humiliations subies dans la cour du collège. Dans la rue, il ne m’était jamais rien arrivé. Je ne crois pas que j’aurais été bien glorieux. Voilà donc comment on grandit à Paris aujourd’hui. J’ai conseillé à Louise d’aller porter plainte. D’abord pour que sa parole soit entendue et aussi parce que si des gamins si jeunes se livrent à ce genre d’agression dans un quartier paisible, c’est que d’autres, plus grands, doivent faire bien pire. Mais je ne suis pas sûr que ses parents partagent cet avis. Et puis, qui sait si ce genre d’affaire retient encore l’attention de la police… Je suis allé à la messe des Cendres à Jullouville. J’ai toujours du mal avec la liturgie « contemporaine ». Tout m’apparaît affadi, consensuel au point d’être un peu béat, un peu mièvre. Il est d’usage maintenant qu’au moment de l’imposition des cendres, l’officiant, plutôt que de dire Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière préfère : Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle ! Je me souviens de mon émotion d’enfant dans la cathédrale de Senlis, de mon cœur battant, quand M. Snejdareck, l’archiprêtre, avait tracé sur mon front la petite croix noire. Memento quia pulvis es et in pulverem reverteris. J’avais eu le sentiment d’avoir tout compris.