J’ai reçu un petit paquet d’Alain Galan. Il m’a envoyé, niché dans de la paille d’emballage, un volume dépareillé du Cours de Littérature de La Harpe dans l’édition de Garnery de 1822-1823. Le tome 10 (sur dix-huit), consacré au théâtre de Voltaire. La reliure est plutôt fatiguée. Il l’a découvert dans un vide-grenier à Uzerche, à une trentaine de kilomètres de chez lui. Pardonnez-lui, m’écrit-il, sa triste mine et ne lisez que les signes : J.F. La Harpe, Senlis, « Cours de littérature ancienne et moderne »… Alain Galan me connaît particulièrement bien. Pascale qui a publié ses deux derniers textes chez Buchet (A bois perdu en 2014 et Peau-en-poil cette année) nous a fait nous rencontrer en décembre dernier. J’avais découvert ses livres en 1995 avec Le dernier pays avant l’hiver paru chez Pygmalion. J’avais été sous le charme. Je le suis resté. Galan épie sa propre vie dans un fouillis de paysages. Jardins, vergers, talus, friches, lisières, forêts. Celui qui parle fait corps avec l’endroit où il est. Chaque mot est au couvert. Lorsque nous avions fait connaissance en décembre, nous nous sommes sentis étonnemement proches. Et pour m’avoir lu, lui aussi, il sait bien mon curieux et fidèle compagnonnage avec l’auteur de Mélanie. Il connaît également ce lien d’enfance, indissoluble, qui m’attache à Senlis. Je comprends qu’il ait pensé à moi. Mais ce qu’il ignore, c’est que les signes sont plus troublants encore. Au verso de la page de titre figure la mention : Senlis, Imprimerie stéréotype de Tremblay. Franklin Tremblay, issu d’une famille d’imprimeurs (Son père, Denis, était libraire-imprimeur à Senlis, et en devint maire pendant la Révolution. Son oncle Nicolas Joseph imprimait à Paris le journal de Hébert, Le père Duchesne…) se lança au début du XIXe siècle dans un procédé quasi industriel de fabrication. Son imprimerie qui comptait près de quarante presses se trouvait rue du Chat-Haret dans un ancien grenier à sel. C’est à cet emplacement que s’installa vers 1830 le couvent des religieuses de Saint Joseph de Cluny puis le collège créé par Anne-Marie Javouhey. Ma mère y a enseigné de 1956 aux années 1970. Tous les deux, nous avons habité le couvent de longs mois, dans une toute petite chambre, avant que les travaux de notre maison soient finis. J’avais un an.