Beuys, le chat de Marie à disparu. Il était en garde depuis le milieu de l’été, à Dieppe, chez Fabienne, son amie du Cours Sévigné. Impossible de savoir quand et comment il a filé. Un porte ouverte sur le jardin, un trou dans la haie. Il n’était pourtant pas du genre aventureux. Quatre jours déjà. Il ne reviendra probablement pas. Marie retenait ses sanglots au téléphone. Je sais que c’est bête, je sais que c’est bête… Pas sûr que j’aie pu trouver les mots pour la consoler. Cela faisait huit ou neuf ans qu’elle avait été le chercher en Belgique. Un genre de persan écaille de tortue. Je me suis rappelé de cette phrase de Loti écrivant à propos d’une petite chatte qu’il avait recueillie : Notre intimité, faite de nos deux isolements, se resserrait toujours… Et j’ai ressenti combien Marie était triste. Il bruine depuis hier soir. Un semblant de pluie, une vapeur un peu froide. Le ciel a tourné au gris perle comme je revenais d’accompagner Amélie à la gare. Nous entrons en automne. En arrière-saison. J’ai au cœur comme un pincement de rentrée des classes. C’est décidé, je reprends mon roman. J’ai passé presque un mois à tourner autour, fouillant à nouveau dans les souvenirs épars, les photos, les lettres. Mais cette fois-ci je suis allé plus avant. Nous nous parlions si peu mon père et moi. Et j’ignore tout de sa famille, de ses parents, de ses grands-parents. A partir de quelques actes d’état-civil (je n’imaginais pas comment cela pouvait s’enchaîner si vite), je suis parvenu à remonter toute une généalogie. De Carolles à Sainte-Pience, petit village à moins de vingt kilomètres dans les terres, j’ai retrouvé des générations de marins, de charpentiers, de sabotiers, de laboureurs. Le premier (le dernier si l’on veut) est un certain Richard né aux alentours de 1626 et décédé le 13 août 1706. Avant, cela se perd dans l’oubli des pauvres gens. Comprendre d’où l’on vient. Je crois enfin que, pour de bon, j’ai fait le premier pas.