Je laisse encore une lacune. Une vraie. Un temps blanc. Un temps mort plutôt. Je pensais à cette phrase de Mme de Sévigné dans une lettre à son cousin Bussy-Rabutin : … en ne faisant rien les jours se passent, et l’on vieillit, et l’on meurt. Que m’est-il advenu ces deux derniers mois ? J’ai fini L’herbier. Réglé les dernières identifications des plantes. Toutes les planches ont été à nouveau scannées. La maquette est prête. Pas sûr que le recueil soit pour autant publié. Cette incertitude me ronge. Me freine. M’empêche. Je ne sais pas quand je pourrai me remettre à mon roman. J’ai continué à travailler sur le dernier tome des Œuvres de Durocher. Nicole s’y épuise. Elle exhume sans cesse de nouveaux documents, rectifie les dates. Hésite, reprend. C’est sans fin. J’ai rencontré Georges-Emmanuel Clancier pour Le Monde. 101 ans. 102 en mai. Un vieillard tout tassé dans un fauteuil immense. Perdu dans un appartement encombré de livres poussiéreux. Pages, des pages, des mots, des mots,/ Chaque page est un journal,/ Chaque mot un instant. Il a écrit ça dans Terres de mémoire. Il y a bien 50 ans… Vu aussi Isabelle Spaak, toujours pour Le Monde. Son dernier livre, Une allure folle, fait une suite à ses deux romans familiaux dont l’origine est dans le drame qui a fracassé ses vingt ans, quand sa mère, dévorée de jalousie, avait abattu son père d’un coup de fusil de chasse avant de se donner la mort en s’électrocutant dans la baignoire. Quelle abomination. Elle écrit en funambule, Isabelle Spaak, sur le fil. Très haut au-dessus des enfers. J’admire sa fausse désinvolture, sa légèreté, sa discrétion. Rédigé aussi un papier sur la réédition de la biographie de Jean de Tinan par Jean-Paul Goujon. Tout cela occupe. J’avais embarqué La Harpe à Paris le temps de ces jours de rendez-vous. Cela n’a pas été très simple. Paris n’est pas vraiment dog friendly. Impossible de prendre les transports en commun avec la chienne. Les taxis non plus. J’ai donc tout fait à pied avec elle, sachant que traverser le moindre square est interdit. Les patrons des magasins, des cafés, des restaurants, tordent du nez, quand ils ne sont pas franchement hostiles. Pas moyen d’entrer dans un bureau de poste. Et puis (je ne pensais pas que ce serait à ce point sinistre), il y a ce rituel de « la promenade » du matin tôt et du soir tard dans les rues désertes, à croiser d’autres déprimés, accrochés à la laisse de leur animal, avec à la main le sac plastique pour ramasser les crottes sur le trottoir. En plus il faisait froid. Il pleuvait. J’étais soulagé (La Harpe aussi, je crois…) de rentrer à Carolles. Je l’ai confiée à Annick et Norbert pour le séjour d’après : le jury du prix de Printemps (content qu’on soit tombés d’accord sur Appelez-moi Lorca Horowitz d’Anne Plantagenet) et le Salon du Livre. Fichu Salon, triste, vide, sans âme. Comme tout cela a changé. Comme tout cela change. On pourrait paraphraser Rosemonde Gérard : Pire qu’hier, mieux que demain… La Harpe est encore restée à Carolles avec ses maîtres de substitution (Annick et Norbert l’ont pour le coup vraiment adoptée. Et réciproquement…) quand nous sommes allés à Magagnosc fêter les soixante-dix ans de Claire. Un anniversaire « surprise » (Mon Dieu, qu’on ne me fasse jamais ce genre d’embuscade !) puisque tout le monde, sans la prévenir, avait fait le déplacement. Marcus, Virginie et les quatre filles depuis Mexico. Et Jérôme et Marion avec leurs petits. Il y a eu un déjeuner dans un restaurant à Théoule et une soirée aux Margouillats avec la famille et les amis. Une bonne centaine d’invités. Claire était ravie et émue comme je l’ai rarement vue. Moi, j’étais content au milieu de tout ce remue-ménage. Enchanté aussi d’avoir vu Camille et ses quinze ans tout neufs, Victoria, Valentine. Et Apolline, ma filleule, à qui j’avais apporté un diablotin en peluche qui me faisait penser au Gentil petit diable de Gripari : Il était une fois un joli petit diable, tout rouge, avec deux cornes noires et deux ailes de chauve-souris... Elle aura cinq ans en novembre. J’espère que nous irons au Mexique. J’aimerais bien lui lire l’histoire.