.J’avais pris les billets cet automne au hasard d’une promotion d’Air France. Oh oui, revoir Naples. Avec Amélie. J’y étais allé une seule fois il y a une quinzaine d’années. J’en étais revenu avec le souvenir d’une envahissante émotion. M’étant alors senti happé par la ville. Embarqué dans le labyrinthe d’une rue à l’autre, passant d’une façade lépreuse à l’intérieur d’une église aux boiseries dorées, d’un bâtiment effondré à un cloître paisible. Ballotté d’un sentiment à son contraire et incapable d’en parler. Stupeur et délices. Effroi. Joie intense. J’ai retrouvé incroyablement ce même trouble, sauf que cette fois je ne me trouvais plus seul à l’affronter. Nous sommes arrivés vendredi sous une petite pluie qui ne nous a lâchés que le lendemain, rendant luisantes les dalles de lave noire qui pavent les rues. Nous avons passé deux jours harassés de découvertes. Eblouis et contents. La chapelle Sansevero et le Christ voilé de Guiseppe Sanmartino, gisant sous son drapé de marbre. Cette statue de la Pudeur d’Antonio Corradini aussi, tellement troublante, attirante et glacée. Puis l’église Sainte Marie des âmes du Purgatoire dont l’hypogée renferme un invraisemblable cimetière d’ossements et de cranes parés de bijoux de paccotille, de dentelles. Et puis encore, au musée archéologique, les fresques et les mosaïques d’Herculanum et de Pompéi. Les rues de Naples débordent de poubelles, pas un mur, un socle, un fronton qui ne soit souillé de tags. Entre l’oubli et les ravages, on est au bord du désastre. Mais, en même temps, tout est beau et étrangement doux. Nous sommes montés jusqu’au château Saint-Elme voir le panorama sur le Vésuve et la baie. J’ai pensé à Lamartine, j’aurais voulu relire Graziella à haute voix : …le golfe de Naples, bordé de ses collines, de ses maisons blanches, de ses rochers tapissés de vignes grimpantes et entourant sa mer plus bleue que son ciel, ressemble à une coupe de vert antique qui blanchit d'écume, et dont le lierre et le pampre festonnent les anses et les bords. Dans les vergers abandonnés, comme nous redescendions par la Pedamentina, les orangers étaient chargés de fruits. A l’hôtel où nous logions (au deuxième étage d’un palais décrépi, recloisonné en chambres), Amélie a reconnu un couple d’amis de ses parents rencontrés à Abidjan, Sountie et Francis Lott. Lui ayant été longtemps là-bas ambassadeur de France. Charmants. Ils nous invités à dîner. J’ai senti qu’Amélie était contente de la coïncidence. Retour à Paris dimanche après-midi. Trouvé qu’il faisait froid. J’ai déballé précautionneusement la petite bouture de crassula ovata, chipée dans une jardinière sur la terrasse de la chambre. Je la planterai à Carolles dans le koetsch.