J’ai déposé Marie en taxi en bas de chez elle. Un petit signe de la main. Je l’ai regardée franchir la porte cochère de son immeuble. Nous aurons passé trois très beaux jours à Vienne. Je n’étais jamais allé là-bas. Nulle part en Autriche d’ailleurs. Le choix de la destination s’était fait presque au hasard. Elle avait juste envie d’aller vers l’est. J’appréhendais un peu le séjour. A part des moments passés à Carolles, quelques trajets de vacances, nous n’étions jamais partis seuls ensemble. Sauf une fois. Je crois qu’elle avait quatre ou cinq ans. C’était un hiver à Chamonix. Je ne m’en rappelle rien d’autre que de l’avoir perdue dans le centre-ville un après-midi. Un instant d’inattention. Je devais regarder ailleurs. La panique de ce moment-là me coupe encore le souffle. Sale souvenir. Après avoir erré un temps qui m’a semblé infini, je l’avais enfin aperçue au pied de la fameuse statue de Balmat montrant le Mont-Blanc à Saussure. Elle pleurait. Mon Dieu, quelle émotion. Nous nous en sommes souvenus tous les deux à Vienne. Oui, cela a été un beau séjour. J’avais retenu un hôtel dans Leopoldstadt à dix minutes à pied du vieux centre. Nous avons beaucoup marché d’un bout à l’autre de la ville. Nous avons visité l’Albertina (Marie tenait à l’exposition Arnulf Rainer, moi je ne voulais pas rater les Dürer), sommes montés au sommet de la cathédrale Saint-Etienne (quel vertige). Découvert aussi l’église des Jésuites, une incroyable merveille baroque, toute en dorures, en trompe-l’œil, en colonnes de marbre torsadées. Avec des reliques enchassées dans les autels. Nous avons traîné au café Mozart et à l’hôtel Sacher. Ecouté des valses et des polkas de Strauss pour touristes (mais l'orchestre était parfait de qualité ) au Kursalon. Mangé des wiener schnitzels et des saucisses à la moutarde en buvant du weißburgunder Et puis passé de longues heures dans la galerie de zoologie du muséum d’histoire naturelle (le plus beau que j’ai jamais vu). Le dernier jour nous avons traversé le Prater tout roux de feuillages d’automne pour aller jusqu’au Danube. Qui est vraiment bleu, comme on le dit. Il faut dire qu’il faisait grand soleil. J’étais content d’être là avec ma fille. Et j’ai aimé Vienne. La chanson de Barbara m’y est revenue en ritournelle. Facile, mais quand même… J’ai répété de mémoire les paroles à Amélie comme nous dînions à l’Italien de la rue Daguerre. Il est minuit ce soir à Vienne,/ Mon amour il faut que tu viennes./ Tu vois je m'abandonne,/ Il est si beau l'automne/ Et j'aimerais le vivre avec toi./ C'est beau Vienne./ Avec toi...