Je m’agite la nuit. Je fais des rêves épuisants. De mauvais rêves. Des cauchemars en demi-teinte. Doucement affreux. Je pourrais en dessiner les décors. En faire les toiles peintes de mon petit théâtre nocturne entracté de réveils brusques. Ce sont toujours les mêmes lieux. Des bords de mer aux dunes creusées, des mares, des fondrières, des rivières étrangement transparentes grouillant de gros poissons. Des rues sous la pluie battante. Des sous-sols aux murs suintants. Mais d’où vient toute cette eau ? J’erre là, je patauge, depuis des années à la recherche d’objets perdus, courant après des rendez-vous éternellement manqués, m’efforçant d’accomplir des tâches impossibles. Je n’y arrive pas. Je n’y arrive pas. Et le matin, tout cela me colle à la conscience. Longtemps. Je suis allé à ma visite chez le cardiologue. Je ne l’avais pas vu depuis un an. Il est un des rares, le seul, dans cette nébuleuse médicale qui m’entoure depuis plusieurs années maintenant, à m’avoir prodigué vraiment de l’attention. Il a été opéré d’un cancer du pancréas. Certains me disent que je suis courageux, a-t-il laissé échapper dans notre conversation. Mais vous savez bien qu’il n’y a pas grand chose à affronter. On fait simplement ce qu’on vous dit de faire. Je lui avais envoyé un petit mot à l’époque, citant Jaccottet : Je me redresse avec effort et je regarde :/ il y a trois lumières, dirait-on./ Celle du ciel, celle qui de là-haut/ s’écoule en moi, s’efface,/ et celle dont ma main trace l’ombre sur la page.

L’encre serait de l’ombre./

Ce ciel qui me traverse me surprend./

On voudrait croire que nous sommes tourmentés/ pour mieux montrer le ciel. Mais le tourment/ l’emporte sur ces envolées, et la pitié/noie tout, brillant d’autant de larmes/ que la nuit.

Je suis resté un moment dans le cabinet. Question cœur, questions vaisseaux : tout va bien, m’a-t-il dit.