J’ai été récupérer Moïse, le poisson rouge, chez Georgette. Un gros carassius auratus queue de voile qu’on lui avait confié il y a bien deux ans, seul survivant d’un hiver rude dans le tonneau du jardin. Sauvé des eaux en quelque sorte. Je le prends pour vous rendre service ! Mais elle s’en occupait avec soin. Veillant à ne pas trop lui donner à manger, changeant le décor de l’aquarium. Un jour des galets ronds, un autre une poignée de gravier blanc ramassée lors d’une promenade. Fanny m’a téléphoné dans l’après-midi. Georgette venait d’être opérée. Tout s’était bien passé. Pas eu besoin d’anesthésie générale. Elle était donc parfaitement consciente lorsque je suis passé. Pâle, les traits tirés. Elle disparaissait toute menue, fragile, dans le lit d’hôpital. Ca va aller mieux. Ca va aller mieux. Dans la voiture, sur le parking de l’hôpital, j’ai appelé mon oncle Georges à Lille, mon parrain René à Uzès. Ses deux frères. Je leur téléphone des nouvelles tous les soirs. Tenant pour eux le bulletin de santé de Georgette. Je me veux confiant. Je parviens à être même optimiste. Il y a d’ailleurs de quoi. Elle résiste bien. A la douleur, à la fatigue. Elle est pleine de volonté. Surtout, je me garde de leur laisser aller mon inquiétude. Elle m’est si personnelle. Si intime. Remontent ces souvenirs enfouis des derniers moments de ma mère. Elle aussi avait fait une chute la nuit en se levant. Impossible de se remettre debout, même en s’accrochant aux meubles. Elle était restée couchée là, sur le carrelage froid de la salle à manger, jusqu’à ce qu’Isabelle vienne pour le ménage vers dix heures du matin. Une semaine après, dans une chambre blanche de l’hôpital de Granville, elle mourrait dans mes bras. J’ai retrouvé mes tristes sentiments, mon infini chagrin. D’avoir vu Georgette allongée sur le sol, d’avoir suivi le fourgon des pompiers. Et puis les urgences. L’attente, le silence. Après revenir dans la maison vide. Ouvrir les tiroirs. Chercher les papiers. De l’air. Je chasse les pensées sombres. Elle ne va pas si mal que cela, Georgette, après sa nuit d’angoisse et son fémur cassé à quatre-vingt-douze ans. Elle va s’en remettre. Et elle verra en fleurs les rosiers anglais qu’elle m’a offert. Au printemps prochain.