Je devais déjeuner aujourd’hui avec Joëlle, à Paris. Complètement oublié de la prévenir que j’étais à Carolles cette semaine. Quand elle a appellé en fin de matinée pour notre rendez-vous, je me suis senti honteux comme jamais. Mais ce n’est pas grave ! Je m’en veux. Je laisse tout aller. J’ai fait le détour par la falaise en rentrant de chez Georgette. Comme j’avais coupé à travers champs, je me suis trouvé dans des sentiers que je ne connaissais pas ou plutôt que je ne reconnaissais plus. Tout avait été nettoyé, dégagé, là où j’avais le souvenir qu’il fallait se faufiler entre les broussailles et les épines. Des poutrelles de bois avaient même été installées en marches dans les endroits pentus. Pendant un moment qui m’a paru fort long, je me suis laissé prendre dans le sentiment angoissant de l’inquiétante étrangeté. J’ai éprouvé un vrai soulagement lorsque j’ai aperçu la mer et que le chemin m’est redevenu familier. C’était grande marée. Un coefficient de plus de 100. Il y avait une bonne dizaine de pêcheurs de crevette qui poussaient leur bichette. Les nôtres sont dans la cabine à la plage. Nous ne nous en sommes pas servi depuis bien longtemps. J’ai écrit mon papier pour Le Monde sur Personnages secondaires de l’écrivain chilien Alejandro Zambra. Un roman qui déroule une réflexion intime sur les dernières années de la dictature de Pinochet. Et qui parle de ces générations d’entre-deux. Celles qui n’ont pas eu à prendre parti. Qui n’ont sans doute rien fait qu’attendre. Et regardent maintenant le monde en enfants vieillis. J’allais être un souvenir, devenu grand, écrit Zambra. Premier vers d’un poème qu’il n’achève pas.