Au marché de Saint-Pair, j’ai pris un carré d’agneau, une poignée de tout petits artichauts camus à faire revenir en cocotte. Amélie arrive par le train de 20h00. La saison à beau toucher à sa fin, l’office du tourisme de Saint-Pair n’a pas renoncé à la « sonorisation d’ambiance » du centre ville. Une dizaine de hauts-parleurs crachent une soupe musicale infecte. L’un d’eux braille juste en face de la camionnette du boucher. Ca ne vous gêne pas ? lui ai-je demandé. – Oh, vous savez, au bout d’un moment, on finit par s’y faire. On n’entend plus… Ce genre d’installation m’apparaît avoir une place privilégiée dans le catalogue des nuisances d’été. Je suis passé chez Georgette lui porter une grappe de raisin, un fin filet de lotte. Tu as retrouvé des photos d’Albert ? Albert est son grand aîné. Son demi-frère en fait. Le fils de Joseph et de Charlotte, sa première femme. Je n’ai aucun souvenir de lui. A peine vu lorsque j’étais enfant. Georgette suit l’affaire, mais c’est René qui m’a demandé de faire cette recherche. J’ai en effet tout un fatras de vieux clichés entassés dans une grande boîte. Ma grand-mère Mamoÿ me les avait donnés quand j’avais une vingtaine d’années. Ca sera bien mieux chez toi. J’ai commencé cent fois à les classer, à les identifier. C’est un travail sans fin. Je n’ai pas remis la main sur grand chose. Un portrait de lui gamin, un autre en uniforme pendant son service militaire en 1930. Dans l’histoire, René ne fait que l’intermédiaire. Les photos sont pour Françoise, la fille d’Albert, qui vit à Limoges. Une dame qui doit avoir aujourd’hui soixante-quinze ou soixante-seize ans. Dans le lot, il y a justement un instantané d’elle pris en 1947 par un photographe de rue. L’air sérieux, tenant son sac à deux mains, manteau à plis, soquettes blanches et souliers vernis. Je vais me dépêcher de faire des tirages. Courrier l’après-midi. Téléphoné à Florence à propos de mes papiers de littérature étrangère. Pris des notes, rêvassé. Je suis arrivé quelques minutes en retard à la gare.