Le Lys noir est un « yawl aurique » de vingt-quatre mètres. Deux mâts, deux cent cinquante mètres carrés de voiles. Il a été construit juste avant la Première guerre mondiale. Il ne reste plus beaucoup, paraît-il, de ce genre de voiliers de yachting à naviguer. Je n’y connais rien en bateaux. Mais ce que l’on peut en dire, c’est qu’il est vraiment magnifique. Nous avons embarqué en toute fin d’après-midi. Quatorze à bord… Jean-Luc, grâce à qui nous étions là, flanqué de son évêque (J’avais failli l’interviewer pour Le Pèlerin au moment de la sortie l’an dernier de la nouvelle édition de Théo, l’encyclopédie catholique dont il avait assuré la direction d’ouvrage. Mais comme souvent là-bas, cela ne s’était pas fait.). Nous avons fait connaissance : Marie-Blanche et Jean-Claude, Marie-Dominique et Bernard, Nicole. Thierry, le propriétaire du voilier. Alexandre, son capitaine et Eric, le « matelot ». Traversée lente. Nous avons approché de la Grande île vers 21h00. J’avais aidé aux manœuvres d’appareillage avec les autres. Et, sur le pont, nous avions bavardé, bu du champagne. Puis, tout naturellement, les conversations étaient retombées dans une contemplation partagée. Horizon et vaguelettes. Faux silence du vent et du clapot sous l’étrave. Amélie était très belle. J’ai juste eu envie de dire merci. Repensé encore à ce grand-père, François, que je n’ai pas pu connaître. A sa vie de marin sur les flottes de guerre des années 1880. A la fin de sa vie aussi, quand, garde maritime à Carolles, il ne regardait plus les bateaux que de loin. Nous avons dîné à bord, joyeusement serrés dans le carré. Rejoints par deux couples « d’îliens » : Laurence et Bertrand, Claudine et Jean-Luc. Partagé un généreux navarin d’agneau et plusieurs bouteilles de Pichon Longueville Baron. Tout derniers verres appuyés au bastinguage à regarder les étoiles. Dans la minuscule cabine, nous avons dormi, enveloppés par la mer et la nuit. La chapelle était pleine, le lendemain, pour la messe. Une volée d’enfants s’est échappée dans les prés à la sortie de l’office. Embellie. La journée a filé. Déjeuner chez Laurence et Bertrand qui habitent le Vieux fort. Une vaste bâtisse édifiée au XVIe siècle, sans cesse démolie, rebâtie, à nouveau mise à bas. Elle a été relevée une dernière fois vers 1925 par le constructeur automobile Louis Renault. Si j’ai bien compris, la famille de Bertrand l’a acquise après-guerre, avec tout son mobilier, les tiroirs encore pleins de linge, de vêtements. De la terrasse, au fur et à mesure que descendait la marée, une multitude d’îlots apparaissaient, estompés au contour d’un presque rien de brume. On aurait voulu ne jamais repartir. Mais Alexandre battait déjà le rappel des passagers du Lys noir. La parenthèse était encore loin d’être refermée lorsque nous sommes arrivés dans le port de Granville.