J’avais demandé aux étudiants d’écrire une vingtaine de lignes, sur un lieu, une anecdote, un moment. Aujourd’hui, ils ont choisi leurs sujets de reportage. Ca démarre. Je les revois dans quinze jours avant qu’ils commencent à rédiger. Je suis passé chez Caractères pour que Nicole m’aide un peu à avancer dans la chronologie de Bruno Durocher. Je me heurte à trop de lacunes, d’imprécisions. Nous avons déroulé les années, les unes après les autres. Je l’ai sentie entrer dans une émotion grandissante. Elle m’a tout raconté. Jusqu’aux dernières heures. Au dernier souffle. Nous avons continué à parler longtemps sur le trottoir de la rue de l’Arbalète. Je ne n’avais pas envie de la quitter. J’ai rejoint Amélie. Nous sommes allés à la remise du prix du meilleur livre étranger à l’hôtel Hyatt, près de la Madeleine. Cette année, il était décerné à Karel Schoeman pour Cette vie, paru chez Phébus. C’est Daniel qui a édité tous ses titres en France. Il me l’avait fait découvrir à la fin de années 1990 avec En étrange pays, le périple épuisé d’un bourgeois hollandais atteint de la tuberculose et qui s’en finir en l’Afrique du Sud. Une contrée pour lui si lointaine et si neuve. Chaque phrase est en suspend dans ce livre. Tout est évocation. Quand le voyage s’acheva, il ne le sut même pas : il n’eut pas conscience du fait qu’ils étaient arrivés, et que le bruit, les embardées, les grincements, le balancement et les cahots de la voiture avaient cessé. Il y avait eu le mouvement incessant, le grondement de tambour des sabots des chevaux, l’espace étroit dans lequel lui et les autres voyageurs avaient été entassés, le siège inconfortable, les petits bagages fourrés dans les moindres recoins ; il y avait eu la chaleur, l’éclat éblouissant du soleil sur les stores baissés, et la poussière dont le fin nuage les environnait, qui pénétrait partout et qui se déposait comme une poudre blanche sur les gens et les bagages. Combien de jours cela avait-il duré ? Dix jours, avait promis le conducteur au début de l’expédition, mais quelque part sur la route, ils en avaient perdu le compte, et il ne savait pas si la promesse avait été tenue ou non… Tout le monde avait avait vraiment envie de fêter ce prix. Mais la réception était chiche dans les salons de cet hôtel un peu prétentieux. Quand nous sommes arrivés, il n’y avait déjà plus la moindre goutte de champagne. Chacun errait, déconfit, une coupe vide en main. Le comble est que Vera a dû acheter une bouteille pour trinquer avec Daniel et Gaëlle. Bah... Nous sommes rentrés avec Jeanne qui vient de déménager à deux pas de chez nous. Courte soirée...