Problèmes de train à Montparnasse. Le TGV de Bordeaux a été bloqué plus d’une heure à quai. On avait découvert un de ces fameux « colis suspects » abandonné à l’intérieur. Grand ballet de la police, des services de sécurité. Arrivée des démineurs. J’ai réussi à faire prévenir Jean-Yves Cendrey de mon retard. Il m’attendait à la gare sous des trombes d’eau. Quelques kilomètres dans un paysage de vignes lavé, lessivé. Il vit maintenant à Berlin avec Marie Ndiaye et leurs trois enfants. Leur maison d’ici est comme une péniche restée à l’amarre. Un lieu préservé et stable mais qui continue de remuer d’un très léger tangage. C’est une ancienne auberge de village qu’il a retapée de la cave à la charpente. Cendrey est un écrivain qui a du cœur à l’ouvrage. J’admire vraiment son travail, ses livres. Une quinzaine aujourd’hui depuis Principes du cochon en 1988. A chaque fois, c’est courageux et ferme. Cyniquement tendre. Toujours bouleversé. Je crois que je pourrais d’ailleurs dire que j’ai de l’affection pour ce qu’il écrit. Cela paraît bien loin de ce que je fais. Mais va savoir… Cette proximité étrange me complique énormément les choses quand il s’agit d’écrire un papier. J’avais mis un temps infini à rédiger, l’an dernier, mon article pour Le Monde sur La maison ne fait plus crédit. Là, je me lance dans un portrait à l’occasion de la sortie de son dernier roman, Honecker 21, chez Actes Sud. Un texte qui fait le constat de nos humiliations quotidiennes, de notre mise à l’écart sociale, permanente, dans un monde qui n’a plus besoin de nous. Tout se dérègle. Tout nous abandonne. L’univers de Matthias Honecker, ce trentenaire dont il nous raconte les « crises », les mêmes que dans La chasse au Snark, s’effondre sous les emmerdements du quotidien. Une cafetière qui lache le dimanche, dernier jour de la garantie, une voiture qui ne cesse de tomber en panne, une couronne dentaire, un vélo. Et un patron odieux, un couple où rien ne va plus. On rit, et c’est épouvantablement triste. Et désespérant. Déjeuner avec Marie. Entraperçu leurs deux garçons, Silvère et Romaric. Nous avons parlé tout l’après-midi. Mon Dieu, que le papier va être difficile. J’ai remis mes notes au propre pendant le trajet de retour. Amélie m’attendait à la gare. Le train était à l’heure, cette fois.