A cinq heures et quelques, le jour commençait à se lever vers le fond du jardin. Nous partions par le premier train. Voyage nauséux et épuisé. Amélie a rattrapé un peu de sommeil recroquevillée sur les sièges. Le wagon s’est rempli au fur et à mesure jusqu’à devenir bondé. A Dreux, un type inondé d’eau de toilette entêtante l’a réveillée pour s’asseoir. Dès l'arrivée, j’ai filé à Censier. Je devais rendre à Line les copies de l’examen final des étudiants. Pas vraiment brillant. Plutôt pathétique pour être franc. Aucune distance, pas d’écriture... Je m’en suis senti si navré que j’ai mis un long mot d’explication dans l’enveloppe. J’étais chez Buchet en fin de matinée pour libérer mon bureau. Cela faisait un an, juste de date à date, qu’on me l’avait donné. Je me suis retrouvé à vider les tiroirs, à entasser mes dossiers et mes livres dans de gros sacs solides, à vider l'ordinateur. J’ai fanfaronné avec les uns et les autres, mais j’étais triste à pleurer, en fait. Je vais réfléchir à tout cela. Former d’autres projets... J’ai déjeuné avec Pascale chez François, rue Servandoni, en terrasse, et nous avons parlé d’autre chose. Amélie est venue m’aider à emporter mes affaires. Nous les avons déposé au milieu de l’effrayant capharnaum de l’appartement. Les caisses de la cave envahissent toujours la cuisine. Et les livres sont partout : triés, en attente, lus, pas lus encore, ceux en piles, ceux toujours dans les paquets… Nous avons fui. Marion et Jérôme nous avaient invités à dîner. Avant d’aller chez eux, nous avons fait un détour par le Marais pour acheter à Géradine, la filleule d’Amélie, un petit bracelet chez Litchi, cette boutique de la rue des Ecouffes qui décline, en bijoux et en décoration, bondieuseries et superstitions des quatre coins du monde. Nous avons pris, à la seule différence que les perles étaient bleues, le même modèle que j’avais déjà offert à Amélie en plusieurs exemplaires. Entre chaque perle est accrochée un minuscule médaillon représentant une Sainte Vierge (celle de Guadalupe, de Lourdes, de Bahia, j’en passe des dizaines). Géraldine fait sa profession de foi demain. Entre accessoire branché et objet de piété, cela semblait on ne peut plus indiqué. Mais ce n’est pas le vrai cadeau. Celui-là, nous allons devoir l’acheter avec elle. Elle rêve d’un jean troué, lacéré, empiécé, brodé de strass et pourquoi pas zèbré de dentelles. Une histoire de gamine qui grandit et qui a envie d’être belle. Jérôme ouvrait encore les huîtres quand nous sommes arrivés. Nous en avons dévoré un beau plateau avec du speck et des gendarmes. Cheverny blanc. Côtes-du-rhône. Nous nous sommes quittés tard après avoir passé un long moment (comment est-ce venu ?) à discuter curés, messes, rituels, Vatican II, communion, paix du Christ et présence réelle. J’aimerais que vous m’accompagniez une fois à Saint-Augustin, nous a dit Jérôme, il y a là un prêtre qui fait des homélies extraordinaires. Une belle ferveur toute neuve… Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à un passage d’une lettre que mon grand-père Joseph avait envoyé à ma mère en Indochine. Il donnait des nouvelles, racontait la vie de famille. A propos de mon parrain, l’avant dernier des enfants, qui devait avoir 16 ou 17 ans à l’époque, il avait écrit : Et René devient pieux... Est-ce un nouveau feu de paille ? Moi, ce que j’aime chez Jérôme, c’est qu’il est toujours sincère.