J'ai achevé en fin d'après-midi la préface du roman de Roger de Beauvoir. Il faut que je remercie Hélène et Daniel de m'avoir confié ce travail. Je connaissais juste cet auteur de nom. Quelques vagues souvenirs d'histoire littéraire où il apparaissait comme un personnage d'arrière-plan. Je crois que je n'avais jamais rien lu de lui. Ces Mystères de l'Ile-Saint-Louis, m'ont ramené très loin en arrière. Pour moi, comme pour beaucoup, le roman d'aventures XIXe a été la porte d'entrée à la vraie lecture. Celle qui vous happe. Celle qu'on dévore. Celle qu'on ne quitte pas et qui ne vous quitte plus. Les Trois mousquetaires de Dumas et leurs suites ont vraiment été pour moi des textes initiatiques. Je n'ai jamais cessé de les relire par bribes, avec le même bonheur. Cela me me procure, à chaque fois, une vraie exaltation, une douce mélancolie, une profonde joie. Le temps n'est jamais parvenu à carapaçonner mon émotion d'enfant aux dernière phrases du Vicomte de Bragelonne qui disent la mort de D'Artagnan: D’Artagnan essaya de se relever. On l’avait cru renversé sans blessures. Un cri terrible partit du groupe de ses officiers épouvantés : le maréchal était couvert de sang ; la pâleur de la mort montait lentement à son noble visage. Appuyé sur les bras qui, de toutes parts, se tendaient pour le recevoir, il put tourner une fois encore ses regards vers la place, et distinguer le drapeau blanc à la crête du bastion principal ; ses oreilles, déjà sourdes aux bruits de la vie, perçurent faiblement les roulements du tambour qui annonçaient la victoire. Alors serrant de sa main crispée le bâton brodé de fleurs de lis d’or, il abaissa vers lui ses yeux qui n’avaient plus la force de regarder au ciel, et il tomba en murmurant ces mots étranges, qui parurent aux soldats surpris autant de mots cabalistiques, mots qui avaient jadis représenté tant de choses sur la terre, et que nul, excepté ce mourant, ne comprenait plus : - Athos, Porthos, au revoir. – Aramis, à jamais, adieu ! Des quatre vaillants hommes dont nous avons raconté l’histoire, il ne restait plus qu’un seul corps : Dieu avait repris les âmes. Je pleure toujours. C'est que le livre est fini. Vraiment fini. Les Mystères de l'Ile-Saint-Louis m'ont fait retrouver, à neuf, des impressions enfouies de ces pages-là, mais également de celles du Capitaine Fracasse de Gautier, du Capitan de Zévaco. En jetant aussi quelques lignes biographiques sur Roger de Beauvoir, il m'a semblé que je l'arrachais un peu à l'oubli. Je compte avec sa vie maintenant. J'ai envie d'en apprendre davantage. Et de le partager. Mais, pour l'intant, l'exercice est clos. Je vais pouvoir reprendre mon livre. Je suis toujours aussi lent, tout m'en paraît si lourd. Pourtant, je me sens bien de travailler ici, dans cette maison de Magagnosc. Je m'y sens à l'abri. La fenêtre de mon bureau ouvre sur deux cyprès, chacun flanqués, à droite et à gauche, d'un olivier. Dans l'ouverture du paysage, entre les arbres, on aperçoit, sur la colline, une petite chapelle et quelques maisons perdues dans la verdure. Amélie est dans la piscine avec ses nièces. Les petites sautent dans l'eau, poussent des cris. La chaleur de la journée commence à décliner. A peine...