En relisant une partie des lettres de condoléances reçues après le mort de ma mère, je suis retombé sur ce courrier d’une lectrice du Monde qui m’avait écrit après la parution de mon papier sur L’eau rouge de Pascale Roze. J’avais fini le livre dans le train qui m’emmenait à Granville. J’allais retrouver ma mère pour la voir me quitter. Le texte de la quatrième de couverture, extrait des vingt premières pages, m’avait profondément troublé. Au cap Saint-Jacques, elle quitta le Pasteur qui continuait vers la baie d’Along et embarqua sur un bâtiment de transport de troupes pour remonter la rivière de Saigon. Ma mère avait fait le même voyage sur L’Eridan. Laurence Bertilleux, le personnage principal du roman mourait, vieille, murée dans le refus et la solitude intérieure. Pascale Roze remontait son passé d’engagée volontaire en Indochine. Il y avait tant en commun. Il y avait tant de proche. Je retrouvais ces lieux dont me parlait ma mère. Cette atmosphère si particulière, ce sentiment de gratitude et d’anxiété mêlées. Histoires filigranes. J’avais commencé à rédiger pendant le voyage. Nous étions samedi. Je devais rendre mon texte à Christine le lundi. Aux toutes petites heures du dimanche, après que ma mère s’était éteinte à l’hôpital, j’ai terminé l'article. Il est sorti dans le même numéro que celui ou je faisais paraître l’annonce du décès. Je reste hanté par ces coïncidences. Ma lectrice du Monde avait acheté le livre. Elle me racontait combien elle avait été touchée, combien elle y retrouvait les moments de sa propre existence. Je lui ai répondu, lui confiant dans quelle proximité et dans quelles circonstances j’avais écrit le papier. Et, mon Dieu..., en retour, elle me renvoyait un mot où j’apprenais qu’elle avait été là-bas sous les ordres de ma mère. Elle égrenait les souvenirs. Retrouvait tellement, tellement d’instants vivants. J’ai croisé souvent Pascale Roze. J’ai eu, à chaque fois, l’envie de lui expliquer tout cela et de lui dire merci. Mais je n’ai jamais osé. Cette bousculade de hasards et de signes, je n’arriverai pas non plus à l’inclure dans mon récit qui traîne. Si vrai et si invraisemblable. Trop extérieur, d’un coup. Et pourtant...