Albert Cossery est mort hier dans sa chambre de l'hôtel Louisiane. Il avait 94 ans. Je n'ai appris la nouvelle que ce matin. Je l'avais rencontré à la fin de l'année 2005 pour un long papier dans Le Monde. J'étais impressionné. J'avais lu très tôt Mendiants et orgueilleux. Sur les pages de garde de mes cahiers, de mes livres scolaires, j'avais noté cette phrase de Gohar, son drôle de héros déchu : Je refuse tout simplement de collaborer à cette immense duperie. C'est ce qu'il avait fait, lui. Avec une étonnante constance du retrait. La vie est belle, m'avait-il dit dans ce souffle fibreux qui était devenu sa voix après son opération du larynx. J'ai téléphoné à Christine. Je pensais qu'on allait me confier la nécro, mais on l'avait déjà donnée à Marion Van Renterghem. Elle lui avait consacré plusieurs papiers à la fin des années 1990, dont un vraiment très beau qui s'appelait justement, je crois, Le mendiant orgueilleux. J'aurais bien aimé m'en occuper mais je ne vais pas me plaindre : cela n'interrompt pas mon travail. Enfin, ce que je parviens péniblement à faire. J'avance à tâtons dans le livre. Je bute sur le moindre mot. Je retricote sans cesse. Je bloque. Je bloque encore. Alors je vais faire un tour, je reviens avec mauvaise conscience. Et puis je continue. Ca ira mieux demain?