Claire et Emmanuel ont raté leur avion pour Mexico. Non pas qu’ils aient été à en retard. Ils sont juste montés, à deux reprises, dans un appareil qui n’a pas pu décoller. A chaque fois, il s’est trouvé des problèmes techniques pour empêcher le départ. Il y a sans doute de quoi râler, mais je ne peux pas, d’une certaine façon, m’empêcher de trouver cela rassurant. Cela rend au voyage, bizarrement, un peu de dignité. Il faut du temps, où qu’on le prenne, pour arriver. Et le Mexique, ce n’est quand même pas la porte à côté. L’avantage de la mésaventure des parents d’Amélie, c’est que, du coup, ils sont venus dîner à la maison. Ils ont pris une chambre d’hôtel dans la rue. Un taxi viendra les prendre tôt pour un troisième vol. Qui devrait être le bon… Nous avons passé la soirée à parler d’Alphonse Daudet, de leur jardin et du nôtre, de la liberté de la presse et du pouvoir des banques. D’histoires de famille aussi auxquelles je ne comprends toujours rien. Ils vont passer trois semaines avec Marcus, Virginie et les trois petites. Notre visite à nous remonte à l’été dernier.

J’ai une drôle de relation à ces trajets d’un continent à l’autre qui semblent pourtant si familiers à la plupart de gens. Ces heures passées au dessus de l’océan ne me sont jamais banales. Je l’ai éprouvé à chaque reportage, à chaque déplacement. Je me refuse à dormir. Je ne veux pas tirer le volet du hublot. Je divague doucement. Je pense à mon grand-père Francois maître charpentier dans l’escadre de l’amiral Courbet, à mon père jeune officier et à ses postes perdus des années trente en Indochine, à ma mère découvrant Saïgon à vingt-huit ans. J'imagine leurs regards d'alors. Leur émerveillement timide ne cesse de m’accompagner.